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LA RÉVOLUTION


gymnastique savante et prolongée de l’intelligence, on devenait bon logicien. « Mon cher abbé, disait en souriant Turgot à Morellet, il n’y a que nous, qui avons fait notre licence, qui sachions raisonner exactement. » À vrai dire, leur préparation théologique valait à peu près notre préparation philosophique ; si elle ouvrait moins largement l’esprit, elle le fournissait mieux de notions applicables ; moins excitante, elle était plus fructueuse. Dans la Sorbonne du dix-neuvième siècle, on étudie les constructions spéculatives de quelques cerveaux isolés, divergents, qui n’ont pas eu d’autorité sur la multitude humaine ; dans la Sorbonne du dix-huitième siècle, on étudiait le dogme, la morale, la discipline, l’histoire, les canons d’une Église qui avait déjà vécu dix-sept cents années et qui, comprenant cent cinquante millions d’âmes, règne encore aujourd’hui sur la moitié du monde civilisé. — À l’éducation théorique, joignez l’éducation pratique. Un curé, à plus forte raison un chanoine, un archidiacre, un évêque, n’était point un étranger de passage, renté par l’État, en soutane, aussi séparé du siècle par son ministère que par sa robe, confiné dans ses fonctions spirituelles : il gérait les biens de sa dotation, passait des baux, réparait, bâtissait, s’intéressait aux chances de la récolte, à la construction d’une route ou d’un canal ; en tout cela, il avait autant d’expérience qu’un propriétaire laïque. De plus, étant membre d’un petit corps propriétaire, je veux dire le chapitre ou la fabrique, et d’un grand corps propriétaire, c’est-à-dire du diocèse et