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LA RÉVOLUTION


tête de la commission des subsistances, découvre avec effroi que les terres ne sont plus cultivées, qu’on n’élève plus de bestiaux, que, l’an prochain, il n’y aura pas de quoi manger en France et que peut-être, cette année même, il n’y aura pas de quoi manger.

Car un événement extraordinaire s’est produit, inouï en Europe, presque incroyable pour qui connaît le paysan français et son attache au travail. Sur ce champ qu’il a labouré, ensemencé, fumé, hersé et nettoyé de ses mains avec tant de peine, cette précieuse moisson, qui est sa moisson et que depuis sept mois il couve de toute la convoitise de ses yeux, à présent qu’elle est mûre, il ne veut point prendre la peine de la faire : ce serait de la peine prise pour autrui ; puisque la récolte présente est pour le gouvernement, que le gouvernement en supporte les derniers frais ; qu’il se charge lui-même de couper, mettre en gerbes, botteler, transporter et battre en grange. — Là-dessus, les représentants en mission s’exclament, et chacun, selon son caractère, enfle ou adoucit sa voix. « Beaucoup de cultivateurs[1],

    et vingt lieues, du blé pour nourrir leurs femmes et leurs enfants ? »

  1. AF, II, 106 (Circulaire de Dartigoeyte, 25 floréal) : « Une règle que tu dois mettre en pratique, c’est de rendre les officiers municipaux responsables de la non-culture des terres. » — « Si un citoyen se permet d’avoir un pain particulier, différent de celui des cultivateurs et des ouvriers de la commune, je le ferai poursuivre devant les tribunaux, conjointement avec la municipalité, comme étant la première coupable pour l’avoir toléré…… Réduis, s’il est nécessaire, les trois quarts du pain accordé aux citoyens non travailleurs, parce que les muscadins et muscadines ont des ressources et mènent d’ailleurs une vie inerte. »