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LES GOUVERNÉS


« on m’a pris toute mon avoine de l’an dernier à 14 francs en assignats, et en thermidor, on me prendra à 11 francs toute mon avoine de cette année : à ce taux-là, je n’en sèmerai plus ; aussi bien n’en ai-je plus besoin pour moi, puisqu’on m’a pris mes chevaux pour les charrois de l’armée. Faire du seigle et du blé, beaucoup de seigle et beaucoup de blé comme autrefois, c’est aussi travailler à perte ; je n’en ferai plus qu’un peu pour moi, et encore, si on me réquisitionne tout, même ma provision de l’année, j’aime mieux laisser mon champ en friche. Voilà qu’on a pris les cochons vivants au-dessus de trois mois ; par précaution, j’ai tué le mien d’avance, et il est maintenant dans le saloir ; mais on va réquisitionner le salé, comme le reste ; les nouveaux mange-tout sont pires que les anciens. Encore six mois, et nous mourrons de faim ; mieux vaut se croiser les bras tout de suite, aller en prison ; là du moins nous serons nourris à ne rien faire. » Effectivement, ils se laissent incarcérer, petits propriétaires et fermiers, par milliers, et Lindet[1], à la

    les provisions en salé, et livrer les agriculteurs aux horreurs de la famine. »

  1. Moniteur, XXII, 21 (Discours de Lindet, 20 septembre 1794) : « Nous avons craint longtemps que les terres ne fussent pas cultivées, que les herbages ne fussent pas couverts de bestiaux, tandis que l’on retenait dans les maisons d’arrêt les propriétaires ou les fermiers des terres et des herbages. » — Archives nationales, D, § 1, carton 1 (Lettre du district de Bar-sur-Seine, 14 ventôse an III) : « Le maximum fit cacher les blés ; les acquits-à-caution ruinèrent et désespérèrent les consommateurs. Combien de malheureux, en effet, n’ont-ils pas été arrêtés, saisis, confisqués, amendés et ruinés, pour avoir été chercher, à quinze