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LES GOUVERNÉS


été très doux ; les légumes, qui suppléent à la rareté du pain et tiennent lieu de la viande absente, fournissent des aliments dès avril et mai, et la moisson, saine, magnifique, presque spontanée, est en avance de trois semaines. — Par une seconde chance, le grand convoi d’Amérique, 116 navires chargés de grains, arrive à Brest, le 8 juin 1794, malgré la croisière anglaise, grâce au sacrifice de la flotte qui l’a couvert et qui, huit jours auparavant, s’est fait écraser pour lui. — Par un troisième coup de fortune, les armées victorieuses sont entrées dans les pays ennemis et se nourrissent de réquisitions sur l’étranger, en Belgique, dans le Palatinat, dans les provinces frontières d’Italie et d’Espagne. — Enfin, par un suprême bonheur, Robespierre, Saint-Just, Couthon, la Commune de Paris, les Jacobins à principes sont guillotinés le 28 juillet, et avec eux tombe le socialisme autoritaire ; désormais l’édifice jacobin s’effondre, par grandes lézardes. En fait, le maximum n’est plus maintenu ; à la fin de décembre 1794, la Convention l’abolit, en droit : les cultivateurs vendent à leur volonté et à deux prix, selon qu’on les paye en assignats ou en argent ; ils ont repris espoir, confiance et courage ; d’eux-mêmes, en octobre et novembre 1794, ils font leurs labours et leurs semailles, et d’eux-mêmes,

    sainfoin en fleur ; il est étonnant de voir, au milieu d’avril, des abricots aussi gros que des œufs de pigeons… Au Midi, où la disette était plus grande, j’ai lieu de penser… que la terre commence à fournir la nourriture à ses habitants. Une gelée semblable à celle que nous avons éprouvée au mois de mai dernier (1793) seconderait plus la famine que toutes les armées et les flottes de l’Europe. »