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LA RÉVOLUTION


« de vertige universel ; dans le fait, on rencontre souvent dans les rues des personnes qui, quoique seules, gesticulent et parlent tout haut ». — « Combien de fois, écrit un voyageur suisse[1] qui habite à Paris pendant les derniers mois de 1795, combien de fois ne m’est-il pas arrivé de rencontrer des hommes tombant d’inanition, se soutenant à peine contre une borne, ou bien tombés à terre et n’ayant pas la force de se relever ! » — Un journaliste dit avoir vu, « dans l’intervalle de dix minutes, à la longueur d’une rue, sept malheureux tomber de faim, un enfant à la mamelle mourir sur le sein de sa mère dont le lait avait tari, et une femme se battre avec un chien près d’un égout pour lui enlever un os[2] ». Meissner ne sort plus de son hôtel sans remplir ses poches avec des

  1. Meissner, Voyage à Paris, 132. — Ib., 104 : « Ce pain est fait avec de la farine noire, grossière, très pâteuse, parce qu’on y mêle des pommes de terre, des fèves, du maïs, du millet ; de plus, il n’est pas assez cuit. » — Granier de Cassagnac, Histoire du Directoire, I, 51 (Lettre de M. Audot à l’auteur) : « Il y avait sans doute des jours à trois quarts de livre, mais il y en a eu à deux quarts, un quart, et beaucoup à deux onces. Ces deux onces, j’allais, enfant de douze ans, les attendre dès quatre heures du matin, à la queue, rue de l’Ancienne-Comédie. Il y avait un quart de son dans ce pain qui était très tendre, très mou,… et contenait un quart d’eau surabondante. Je rapportais, pour quatre personnes que nous étions, huit onces de pain, pour la journée. » — De même, en province. (Archives nationales, AF, II, 72, Lettre du conseil général de Grenoble, 13 vendémiaire an IV.) Détresse de tous ceux qui ne sont pas propriétaires d’immeubles ruraux ; la ville n’a pas de pain à leur donner. « La misère est à son comble ; le désespoir est peint sur toutes les figures. »
  2. Dauban, 586,