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LA RÉVOLUTION


« tout ce qui compose l’autorité actuelle ; un luxe insolent, insultant à la misère des malheureux rentiers qui expirent dans leurs greniers de faim et de froid et n’ont plus le courage de se traîner à la Trésorerie, pour y toucher de quoi prolonger leurs souffrances de quelques jours ; l’honnête père de famille fixant chaque jour la pièce de son ménage qu’il doit vendre pour suppléer aux appointements avec lesquels il ne peut plus se procurer une demi-livre de pain ; les denrées de toute espèce augmentant de prix soixante fois par heure ; l’atome de commerce ne se soutenant que par la ruine des assignats ; les intrigants de tous les partis se renversant les uns les autres pour obtenir des places ; le militaire ivre d’orgueil des services qu’il a rendus et de ceux qu’il peut rendre, se livrant sans pudeur à tous les genres de débauche ; les maisons de commerce transformées en cavernes de voleurs ; les fripons devenus commerçants, les commerçants devenus fripons ; la cupidité la plus sordide, l’égoïsme le plus mortel : voilà le tableau de Paris[1] ». Il manque un groupe au tableau, celui des gouvernants qui administrent toute cette misère, et ce groupe est au fond de la toile ; on le dirait dessiné exprès, com-

  1. La misère se prolonge beaucoup au delà de cette époque à Paris et en province. — Cf. Schmidt, Tableaux de Paris, tome III. — Félix Rocquain, l’État de la France au 18 Brumaire, 156 (Rapport de Fourcroy, 5 nivôse an IX). Les convois de blés ne peuvent arriver à Brest, parce que les Anglais bloquent la mer et que les routes de terre sont impraticables. « On assure qu’on est depuis longtemps, à Brest, à la demi-ration et peut-être au quart de ration. »