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LA RÉVOLUTION


« pleines mains[1] ; il n’y a que les Jacobins qui puissent être plus odieux ». Si l’on supporte encore ces mandataires infidèles, c’est parce que l’on compte les voir bientôt dehors. À la nouvelle prématurée que la Convention va se dissoudre[2], les passants s’abordent dans la rue en s’écriant : « Nous en voilà quittes ; ils s’en vont, les brigands !… Les gens sautillent et caracolent, comme incapables de contenir leur satisfaction ; on ne parle de rien que du petit (Louis XVII, enfermé au Temple) et des élections : tout le monde est d’accord pour exclure les députés actuels… On discute moins à présent les crimes de chacun que l’insignifiance de tout l’assemblage, et les épithètes de tarés, usés, corrompus, ont presque remplacé celles de coquins et de scélérats. » — À Paris même, pendant les derniers mois de leur règne, c’est à peine s’ils osent paraître en public. « Dans le costume le plus sale et le plus négligé[3], costume que l’écharpe tricolore à franges d’or fait ressortir encore davantage, ils cherchent à se dérober à la foule, et, malgré cette modestie, ils n’échappent pas toujours aux insultes, encore moins aux malédictions des passants. » — Chez eux, en province, ce serait pis : leur vie y serait en danger ; à tout le moins, on les roulerait dans le ruisseau, et ils le savent. « Sauf une vingtaine »,

  1. Mallet du Pan, Correspondance avec la cour de Vienne, I, 211 (27 mai 1795).
  2. Un séjour en France de 1792 à 1795, 267, 271 (Amiens, 13 mars et 12 avril 1795).
  3. Meissner, Voyage à Paris, 123, 351. (L’auteur arrive à Paris le 22 septembre 1795.)