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LA RÉVOLUTION


ils entendent ce cri : « Je suis le fils de Laffon de Ladébat ; accordez-moi la grâce d’embrasser mon père. » Et, du navire, le porte-voix répond : « Éloignez-vous, ou nous faisons feu sur la chaloupe. » — En route, leurs cabines closes sont méphitiques ; sur le pont, ils ne peuvent jamais être que quatre ensemble, une heure le matin et une heure le soir ; défense aux matelots et aux soldats de leur parler ; pour nourriture, la ration d’un matelot, et les aliments qu’on leur donne sont gâtés ; vers la fin, on les affame. En Guyane, une chandelle par chambrée ; point de linge ; l’eau leur manque ou n’est point potable ; des seize qu’on mène à Sinnamary, il en survit deux.

Pour les déportés de l’année suivante, prêtres, religieux, députés, journalistes, artisans prévenus d’émigration, ce sera pis : sur toutes les routes qui conduisent à Rochefort, on voit leurs lamentables tas sur des charrettes, ou leurs files qui cheminent à pied, comme l’ancienne chaîne des forçats. « Un vieillard de quatre-vingt-deux ans, M. Dulaurent de Quimper, traverse ainsi quatre départements », sous les fers qui le garrottent. Ensuite, dans l’entrepont de la Décade et de la Bayonnaise, les malheureux, encaqués, suffoqués par le manque d’air et la chaleur torride, rudoyés, volés, meurent de faim ou d’asphyxie, et la Guyane achève l’œuvre de la traversée : des 193 apportés par la Décade, il en reste 39 au bout de vingt-deux mois ; des 120 apportés par la Bayonnaise, il en reste 1. — Cependant, en France, dans les casemates