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LA RÉVOLUTION


le Directoire s’est attribué d’abord le droit de déporter, « par arrêté individuel motivé », tout ecclésiastique « qui trouble la tranquillité publique », c’est-à-dire qui exerce son ministère et prêche sa foi[1], et, de plus, le droit de fusiller, dans les vingt-quatre heures, tout prêtre qui, banni par les lois de 1792 et 1793, est resté ou rentré en France. Presque tous les ecclésiastiques, même assermentés, sont compris dans la première catégorie ; l’administration en compte 366 dans le seul département du Doubs[2] et 556 dans le seul département de l’Hérault. Des milliers d’ecclésiastiques sont compris dans la seconde catégorie ; l’administration en compte plus de dix-huit cents qui, rentrés par la seule frontière d’Espagne, errent encore dans les départements du Midi. Là-dessus, par toute la France, les moralistes en place sonnent la chasse au gibier noir, et, en certains endroits, l’abatis est universel, sans exception ni rémission. Par exemple, dans la Belgique récemment incorporée à la France, c’est le clergé tout entier, régulier et séculier, qui est proscrit en masse et traqué pour la déportation, 560 ecclésiastiques dans l’Ourthe et les Forêts, 539 dans l’Escaut, 883 dans

  1. Ludovic Sciout, IV, 601. Exemples des « motifs individuels » allégués pour justifier l’arrêté de déportation : tel a refusé de baptiser un enfant dont les parents n’étaient mariés que civilement ; tel a « déclaré à ses auditeurs que le mariage à l’église était le meilleur » ; un autre « a fanatisé » ; un autre « a prêché des doctrines pernicieuses et contraires à la Constitution » ; un autre « peut, par sa présence, provoquer des troubles », etc. — Parmi les condamnés, on trouve des septuagénaires, des prêtres assermentés et même des prêtres mariés. — Ib., 634, 637.
  2. Sauzay, IX, 715. (Liste nominative.)