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LES GOUVERNANTS


quelques énergumènes de bonne foi, dont le cerveau fêlé a donné spontanément accès à la théorie en vogue ; les autres, en bien plus grand nombre, vraies bêtes de proie qui exploitent le régime établi et n’ont adopté la foi révolutionnaire que parce qu’elle offre une pâture à leurs convoitises. — À Paris, ils sont cinq ou six mille, et, après Thermidor, on les retrouve en nombre à peu près égal, ralliés par les mêmes appétits autour du même dogme[1], niveleurs et terroristes, « les uns parce qu’ils sont dans la misère, les autres parce qu’ils sont déshabitués du travail de leur état », furieux contre les scélérats à porte-cochère, contre les richards et les détenteurs d’objets de première nécessité », plusieurs « ayant arsouillé dans la Révolution et prêts à se

    mépris. » — Meissner, Voyage à Paris (fin de 1795), 160 : « L’armée (révolutionnaire) et les comités révolutionnaires étaient vraiment des associations organisées par le crime, pour commettre avec impunité tous les genres d’injustice, de meurtre, de rapine et de brigandage. Le gouvernement avait enlevé toutes les places aux hommes de quelque talent ou de quelques vertus, pour les livrer à ses créatures, c’est-à-dire à la lie de l’espèce humaine. » — Baron Brinckmann, chargé d’affaires de Suède (Lettre du 11 juillet 1799) : « Je ne crois pas que les différentes classes de la société soient plus corrompues en France qu’ailleurs ; mais j’ose espérer que jamais un peuple ne sera gouverné par la volonté de scélérats plus imbéciles et plus cruels que la France ne l’a été depuis le commencement de sa nouvelle liberté… La lie du peuple, poussée en haut par une fermentation violente et subite, a fait surnager partout l’écume de l’immoralité. »

  1. Édouard Fleury, Babeuf, 139, 150. — Granier de Cassagnac, Histoire du Directoire, II, 24 à 170. — (Procès de Babeuf, passim). Les textes ci-dessus sont extraits des pièces saisies chez Babeuf, et des dépositions faites par les témoins, notamment par le capitaine Grizel.