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NAPOLÉON BONAPARTE


celui-ci s’étendait sur les regrets unanimes : « Point du tout », répond l’Empereur ; puis, avec un haut-le-corps significatif qui exprime bien le soulagement universel, il ajoute : « On dira : Ouf ! »

IV

Il n’y a guère de souverain, même absolu, qui, constamment et du matin jusqu’au soir, garde l’attitude despotique ; ordinairement, et surtout en France, le prince fait deux parts dans sa journée, l’une pour les affaires, l’autre pour le monde, et dans la seconde, tout en demeurant chef d’État, il devient maître de maison : car il reçoit, il a des hôtes, et, pour que ces hôtes ne soient pas des automates, il tâche de les mettre à l’aise. — Ainsi faisait Louis XIV[1] : être poli avec tout le monde, toujours affable et parfois gracieux avec les hommes, toujours courtois et parfois galant avec les femmes, s’interdire toute brusquerie, tout éclat, tout sarcasme, ne jamais se permettre un mot blessant, ne pas faire sentir aux gens leur infériorité et leur dépendance, les encourager à parler et même à causer, tolérer

  1. L’Ancien Régime, I, 194. — Œuvres de Louis XIV, 191 : « S’il y a quelque caractère singulier dans cette monarchie, c’est l’accès libre et facile des sujets au prince, c’est une égalité de justice entre eux et lui, qui les tient, pour ainsi dire, dans une société douce et honnête, nonobstant la différence presque infinie de la naissance, du rang et du pouvoir. Cette société de plaisirs, qui donne aux personnes de la cour une honnête familiarité avec nous, les touche et les charme plus qu’on ne peut dire. »