Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
110
LE RÉGIME MODERNE


dans la conversation un semblant d’égalité, sourire d’une répartie, quelquefois se mettre en frais, badiner, faire un conte, telle était sa charte de salon : il en faut une, et libérale, dans un salon comme dans toute société humaine ; sinon la vie s’y éteint. Aussi bien, dans l’ancienne société, l’observation de cette charte s’appelait le savoir-vivre, et, plus exactement que personne, le roi se soumettait au code des bienséances ; par tradition, par éducation, il avait des égards, au moins pour les gens de son monde, et ses courtisans devenaient ses invités sans cesser d’être ses sujets. — Rien de semblable chez Napoléon. De l’étiquette qu’il emprunte à l’ancienne cour, il ne conserve que la discipline rigide et la parade pompeuse. « Le cérémonial, dit un témoin[1], s’exécutait comme s’il eût été dirigé par un roulement de tambour ; tout se faisait, en quelque sorte, au pas de charge. » — « Cette espèce de précipitation, cette crainte continuelle qu’il inspire » suppriment autour de lui tout bien-être, toute commodité, tout entretien et commerce facile ; nul lien, sauf celui du commandement et de l’obéissance. « Le petit nombre des hommes qu’il distingue, Savary, Duroc, Maret, se taisent et ne font que transmettre des ordres… Nous ne leur apparaissions et nous n’apparaissions à nous-mêmes, en faisant uniquement la chose qui nous était ordonnée, que comme de vraies machines, à peu près pareilles, ou peu s’en faut, aux fauteuils élégants et

  1. Mme de Rémusat, II, 32, 39.