Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
NAPOLÉON BONAPARTE

V

Avec de tels gestes, aucune société n’est possible, surtout entre ces personnages indépendants et armés qu’on appelle des nations ou États ; c’est pourquoi, en politique et en diplomatie, ils sont interdits ; soigneusement et par principe, tout chef ou représentant d’un pays s’en abstient, au moins envers ses pareils. Il est tenu de les traiter en égaux, de ménager leurs susceptibilités, partant de ne pas s’abandonner à l’irritation du moment et à la passion personnelle, bref de se maîtriser toujours et de mesurer toutes ses paroles : de là le ton des manifestes, protocoles, dépêches et autres pièces publiques, le style obligatoire des chancelleries, si froid, si terne et si flasque, ces expressions atténuées et émoussées de parti pris, ces longues phrases qui semblent tissées à la mécanique et toujours sur le même patron, sorte de bourre mollasse et de tampon international qui s’interpose entre les contendants pour amortir leurs chocs. D’État à État, il n’y a déjà que trop de froissements réciproques, trop de heurts douloureux et inévitables, trop de causes de conflit. Et les suites d’un conflit sont trop graves ; il ne faut pas ajouter aux blessures d’intérêt les blessures d’imagination et d’amour-propre ; surtout il ne faut pas y ajouter gratuitement, au risque d’accroître les résistances que l’on rencontre aujourd’hui et les ressentiments qu’on retrouvera demain. — Tout au rebours chez Napoléon :