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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/146

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LE RÉGIME MODERNE


« Jamais ! Je saurai mourir, mais je ne céderai pas un pouce de territoire. Vos souverains, nés sur le trône, peuvent se laisser battre vingt fois et rentrer dans leurs capitales ; moi, je ne le puis pas, parce que je suis un soldat parvenu. Ma domination ne survivra pas au jour où j’aurai cessé d’être fort, et, par conséquent, craint. » En effet son despotisme en France est fondé sur sa toute-puissance en Europe ; s’il ne reste pas le maître du continent, « il devra compter avec le Corps législatif[1] ». Plutôt que de descendre à ce rôle réduit, plutôt que d’être un monarque constitutionnel bridé par des chambres, il joue quitte ou double, il risquera et perdra tout. « J’ai vu vos soldats, lui dit Metternich, ce sont des enfants. Quand cette armée d’adolescents que vous appelez sous les armes, aura disparu, que ferez-vous ? » À ces mots, qui l’atteignent au cœur, il pâlit ; ses traits se contractent et la fureur l’emporte ; comme un homme blessé qui fait un faux mouvement et se découvre, il dit violemment à Metternich : « Vous n’êtes pas soldat,

    tique, et, pour nous, l’existence en dépend.» — II, 41, 42 (Paroles de Napoléon à Metternich) : « Et c’est mon beau-père qui accueille un pareil projet ! Et c’est lui qui vous envoie ! Dans quelle attitude veut-il donc me placer auprès du peuple français ? Il s’abuse étrangement, s’il croit qu’un trône mutilé puisse être un asile en France pour sa fille et son petit-fils… Ah ! Metternich, combien l’Angleterre vous a-t-elle donné pour vous décider à jouer ce rôle contre moi ? » (Cette dernière phrase, omise dans le récit de Metternich, est un trait de caractère ; Napoléon, en ce moment décisif, reste blessant et agressif, gratuitement et jusqu’à se nuire.)

  1. Souvenirs du feu duc de Broglie, I, 235.