Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
149
FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


les Conseils, et les Conseils avaient purgé le Directoire. — Non seulement l’institution démocratique et parlementaire ne faisait pas son service et se disloquait à l’épreuve, mais encore, par son propre jeu, elle se transformait en son contraire. Au bout d’un an ou deux, il se faisait à Paris un coup d’État ; une faction se saisissait du pouvoir central, et le convertissait en pouvoir absolu aux mains de cinq ou six meneurs. Tout de suite, le nouveau gouvernement reforgeait à son profit l’instrument exécutif et rattachait solidement la lame au manche ; il cassait en province les élus du peuple et ôtait aux administrés le droit de choisir leurs administrateurs ; c’est lui qui désormais, par ses proconsuls en mission ou par ses commissaires résidents, nommait, surveillait et régentait sur place les autorités locales[1]. — Ainsi, à son dernier terme, la constitution libérale enfantait le despotisme centralisateur, et celui-ci était le pire de son espèce, à la fois informe et énorme ; car il était né d’un attentat civil, et le gouvernement qui l’exerçait n’avait pour soutien qu’une bande de fanatiques bornés ou d’aventuriers politiques ; sans autorité légale sur la nation, sans ascendant moral sur l’armée, haï, menacé, discordant, exposé aux révoltes de ses propres fauteurs et aux trahisons de ses propres membres, il vivait au jour le jour ; il ne pouvait se maintenir que par l’arbitraire brutal, par la terreur permanente, et le pouvoir public, qui a pour premier emploi la protection des propriétés, des consciences et des vies, devenait entre

  1. La Révolution, tome VII, 75, tome VIII, 378, 418.