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LE RÉGIME MODERNE


et, moins que tout autre, le droit d’élire ; par suite, le triage électoral opérait à faux, et aucun parlement élu n’était ni ne pouvait être le représentant véritable de la volonté publique. Depuis 1791, l’élection violentée et désertée n’avait amené sur les bancs de la législature que des intrus, sous le nom de mandataires. On les subissait, faute de mieux ; mais on n’avait pas confiance en eux, et l’on n’avait pas de déférence pour eux ; on savait comment ils avaient été nommés et le peu que valait leur titre. Par inertie, peur ou dégoût, la très grande majorité des électeurs n’avait pas voté ; au scrutin, les votants s’étaient battus ; les plus forts ou les moins scrupuleux avaient expulsé ou contraint les autres. Dans les trois dernières années du Directoire, souvent l’assemblée électorale se scindait en deux ; chaque fraction élisait son député et protestait contre l’élection de l’autre ; alors entre les deux élus, le gouvernement choisissait, arbitrairement et avec une partialité impudente ; bien mieux, s’il n’y avait qu’un élu et que cet élu fût son adversaire, il le cassait. En somme, depuis neuf ans, le corps législatif, imposé à la nation par une faction, n’était guère plus légitime que le pouvoir exécutif, autre usurpateur, qui, dans les derniers temps, le remplissait ou le purgeait. Impossible de remédier à ce défaut de la machine électorale ; il tenait à sa structure intime, à la qualité même de ses matériaux. À cette date, même sous un gouvernement impartial et fort, la machine n’aurait pu fonctionner utilement, extraire de la nation une assemblée d’hommes