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LE RÉGIME MODERNE


avait ôté au seigneur son emploi de protecteur résident et de patron héréditaire, pour le réduire au rôle odieux de créancier simple, et, s’il était homme de cour, au rôle pire de créancier absent[1]. Ainsi, dans le clergé, elle avait presque séparé la tête du tronc, en superposant, par la commende, un état-major de prélats gentilshommes, opulents, fastueux, désœuvrés et sceptiques, à une armée de curés roturiers, pauvres, laborieux et croyants[2]. — Tantôt enfin, par une protection aussi malencontreuse que son agression, elle avait conféré au corps des privilèges oppressifs, ce qui le rendait blessant et nuisible, ou elle le pétrifiait dans une forme surannée, ce qui paralysait son jeu ou corrompait son service. C’était le cas pour les corporations d’arts et de métiers, auxquelles, moyennant finance, elle avait concédé des monopoles qui étaient une charge pour le consommateur et une entrave pour l’industrie. C’était le cas pour l’Église catholique, à qui, tous les cinq ans, en échange du don gratuit, elle accordait des faveurs cruelles ou maintenait des prérogatives choquantes, la persécution prolongée des protestants, la censure de la pensée spéculative, le droit de régenter l’éducation et les écoles[3]. C’était le cas pour les universités engourdies dans leur routine, pour les derniers États provinciaux constitués en 1789 comme en 1489, pour les familles nobles assujetties par la loi à l’antique régime des sub-

  1. L’Ancien Régime, tome I, 56 à 92.
  2. Ib., 114 à 120
  3. Ib., 95 à 99.