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LE RÉGIME MODERNE


mal par son ingérence, avait prétendu remédier au mal par une ingérence plus grande : de nouveau, en 1789, elle était intervenue auprès des corps, non pour les réformer, non pour leur restituer à chacun son emploi, non pour les circonscrire chacun dans ses limites, mais pour les détruire à fond. Par une amputation radicale, universelle, extraordinaire et telle que l’histoire n’en mentionne pas d’égale, avec une témérité de théoricien et une brutalité de carabin, le législateur les avait extirpés, autant qu’il l’avait pu, tous, jusqu’au dernier, y compris la famille, et son acharnement les avait poursuivis, par delà le présent, jusque dans l’avenir. À l’abolition légale et à la confiscation totale, il avait ajouté contre eux l’hostilité systématique de ses lois préventives et l’obstacle interposé de ses constructions neuves ; pendant trois législatures successives[1], il s’était prémuni contre leur renaissance future, contre l’instinct et le besoin permanents qui pouvaient ressusciter un jour des familles stables, des provinces distinctes, une Église orthodoxe, des sociétés d’arts, de métiers, de finance, de charité et d’éducation, contre tout groupe spontané et organisé, contre toute entreprise collective, locale ou spéciale. À leur place, il avait installé des corps factices, une Église sans fidèles, des écoles sans élèves, des hôpitaux sans revenus, une hiérarchie géométrique de pouvoirs improvisés à la commune, au district, au département, tous mal constitués, mal recrutés, mal ajustés,

  1. la Révolution, tome III, 251 et suivantes. — Tome V, 150. — Tome VII, livre II, chap. i, notamment 130 et suivantes.