Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
195
FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


déconcertés d’avance, surchargés de fonctions politiques, aussi incapables de leur office propre que de leur office supplémentaire, et, dès le premier jour, impuissants ou malfaisants[1]. Remaniés à plusieurs reprises, meurtris par l’arbitraire d’en bas ou par l’arbitraire d’en haut, anéantis ou pervertis tantôt par l’émeute et tantôt par le gouvernement, inertes dans les campagnes, oppresseurs dans les villes, on a vu en quel état ils étaient tombés à la fin du Directoire ; comment, au lieu d’être des asiles de liberté, ils étaient devenus des repaires de tyrannie ou des sentines d’égoïsme ; pourquoi, en 1800, ils étaient aussi décriés que leurs prédécesseurs de 1788, pourquoi leurs deux supports successifs, l’ancien et le récent, la coutume historique et l’élection populaire, étaient maintenant discrédités et hors d’usage. — Après la désastreuse expérience de la monarchie, après l’expérience pire de la république, on était conduit à chercher pour les corps un autre point d’appui et d’attache ; il n’en restait qu’un, le pouvoir central, qui fût visible et qui semblât solide ; à défaut d’autres, on avait recours à lui[2]. Du moins, aucune protestation, même intime et morale, n’empêchait plus

  1. La Révolution, tome IV, 12 et suivantes, 62 et suivantes.
  2. Souvenirs inédits du chancelier Pasquier, I, 340 (À propos de l’institution des préfets et des sous-préfets) : « Ce qu’on aperçut dans ce changement, ce fut le bonheur d’être délivrés, en un seul jour, d’une tourbe de petits hommes, la plupart sans mérite, sans ombre de capacité, et auxquels les administrations d’arrondissement et de département étaient livrées depuis dix ans. Sortis presque tous des derniers rangs de la société, ils n’en étaient que plus enclins à faire sentir le poids de leur autorité. »