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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/220

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LE RÉGIME MODERNE


ture visible, et même grossière, par des communications incomplètes et bizarres : à travers leur dépendance actuelle, les vestiges de leur ancienne indépendance sont encore apparents. Chacune d’elles pose toujours sur ses fondements primitifs et propres ; ses grandes lignes subsistent ; souvent son gros œuvre est presque intact. À la veille de 1789, en France, on la reconnaît aisément pour ce qu’elle fut jadis : par exemple, il est clair que le Languedoc et la Bretagne ont été jadis des États souverains, Strasbourg une ville souveraine, l’évêque de Mende et l’abbesse de Remiremont des princes souverains[1] ; tout seigneur, laïque ou ecclésiastique, l’a été dans son domaine, et il y possède encore quelques lambeaux de la puissance publique. Bref, on aperçoit des milliers d’États dans l’État, englobés, mais non assimilés, chacun avec son statut, ses coutumes légales, son droit civil, ses poids et mesures, plusieurs avec des privilèges et immunités particulières, quelques-uns avec leur juridiction et leur administration propres, avec leurs impôts et leurs douanes, comme aidant de forteresses plus ou moins démantelées, mais dont les vieux murs féodaux, municipaux ou provinciaux se dressent encore, hauts et épais, sur le sol compris dans l’enceinte nationale.

Rien de plus irrégulier que l’ensemble ainsi formé : à vrai dire, ce n’est pas un ensemble, mais un amas. Aucun plan, bon ou mauvais, n’a été suivi ; l’archi-

  1. L’Ancien Régime, tome I, livre I, chap. ii, la Structure de la société, notamment 30 et 31.