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FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


moment sous sa main. Tous les grands traits du plan sont d’avance arrêtés dans son esprit : c’est qu’ils y sont gravés d’avance par son éducation et par son instinct.

En vertu de cet instinct qui est despotique, en vertu de cette éducation qui est classique et latine, il conçoit l’association humaine, non pas à la façon moderne, germanique et chrétienne, comme un concert d’initiatives émanées d’en bas, mais à la façon antique, païenne et romaine, comme une hiérarchie d’autorités imposées d’en haut. Dans ses institutions civiles, il met son esprit, l’esprit militaire ; en conséquence, il bâtit une grande caserne, où il loge, pour commencer, trente millions d’hommes, femmes et enfants, plus tard quarante-deux millions, de Hambourg à Rome.

C’est un bel édifice, bien entendu et d’un style nouveau ; si on le compare aux autres sociétés de l’Europe environnante, et notamment à la France telle qu’elle était avant 1789, le contraste est frappant. — Partout ailleurs ou auparavant, l’édifice social est un composé de plusieurs bâtisses distinctes, provinces, cités, seigneuries, églises, universités et corporations. Chacune d’elles a commencé par être un corps de logis plus ou moins isolé, où, dans une enceinte close, vivait un peuple à part. Peu à peu les clôtures se sont lézardées on les a crevées, ou elles sont tombées d’elles-mêmes ; de l’une à l’autre, il s’est fait des passages, puis des rattachements ; à la fin, toutes ces bâtisses éparses se sont reliées entre elles et soudées comme annexes au massif central. Mais elles n’y tiennent que par une su-