Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
NAPOLÉON BONAPARTE


disponible, si perpétuellement prêt à toute besogne, si capable de concentration soudaine et totale. « Sa flexibilité[1] » est merveilleuse « pour déplacer à l’instant toutes ses facultés, toutes ses forces, et pour les porter sur l’heure toutes à la fois sur l’objet seul dont il est affecté, sur un ciron comme sur un éléphant, sur un individu isolé comme sur une armée ennemie… Pendant qu’il est occupé d’un objet, le reste n’existe pas pour lui ; c’est une espèce de chasse dont rien ne le détourne. » — Et cette chasse ardente que rien ne suspend, sauf la prise, cette poursuite tenace, cette course impétueuse pour qui l’arrivée n’est jamais qu’un nouveau point de départ, est l’allure spontanée, le train naturel, aisé, préféré de son esprit. « Moi, disait-il à Rœderer[2], je travaille toujours ; je médite beaucoup. Si je parais toujours prêt à répondre à tout, à faire face à tout, c’est qu’avant de rien entreprendre j’ai longtemps médité, j’ai prévu ce qui pourrait arriver. Ce n’est pas un génie qui me révèle tout à coup ce que j’ai à dire ou à faire dans une circonstance inattendue pour les autres, c’est ma réflexion, c’est la méditation… Je travaille toujours, en dînant, au théâtre. La nuit, je me réveille pour travailler. La nuit dernière, je me suis levé à deux heures, je me suis mis dans une chaise longue, devant mon feu, pour examiner les états de situation que m’avait

  1. Abbé de Pradt, Histoire de l’ambassade dans le grand-duché de Varsovie en 1812, préface, x et 5.
  2. Rœderer, III, 544 (24 février 1809). — Cf. Meneval, Napoléon et Marie-Louise, souvenirs historiques, I, 210-213.