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NAPOLÉON BONAPARTE


« l’enceinte de l’École, un petit coin où j’allais m’asseoir pour rêver à mon aise. Quand mes compagnons voulaient usurper sur moi la propriété de ce coin, je la défendais de toute ma force ; j’avais déjà l’instinct que ma volonté devait l’emporter sur celle des autres, et que ce qui me plaisait devait m’appartenir. » Remontant plus haut et jusqu’à ses premières années sous le toit paternel en Corse, il se peint lui-même comme un petit sauvage malfaisant, rebelle à tous les freins et dépourvu de conscience[1]. « Rien ne m’imposait ; je ne craignais personne ; je battais l’un, j’égratignais l’autre, je me rendais redoutable à tous. Mon frère Joseph était mordu, battu, et j’avais porté plainte contre lui quand il commençait à peine à se reconnaître. » Excellent stratagème et qu’il ne se lassera jamais de répéter : ce talent d’improviser des mensonges utiles lui est inné ; plus tard, homme fait, il s’en glorifie, il en fait l’indice et la mesure de « la supériorité politique », et « il se plaît à rappeler qu’un de ses oncles, dès son enfance, lui a prédit qu’il gouvernerait le monde parce qu’il avait coutume de mentir toujours[2] ».

  1. Mémorial, 27-30 août 1815.
  2. Mme de Rémusat, I, 105. — Il n’y eut jamais de plus habile et de plus persévérant sophiste, plus persuasif, plus éloquent pour se donner les apparences du bon droit et de la raison. De là ses dictées à Sainte-Hélène, ses proclamations, messages et correspondances diplomatiques, son ascendant par la parole, aussi grand que par les armes, sur ses sujets et sur ses adversaires, son ascendant posthume sur la postérité. — L’avocat, chez lui, est d’ordre aussi éminent que le capitaine et l’administrateur. Le propre de cette disposition est de ne jamais se soumettre à la