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NAPOLÉON BONAPARTE


guets-apens heureux, enfoncent en lui, par une répétition énergique, les leçons qu’il a déjà prises à domicile. Ce sont là ses leçons de choses ; à cet âge tendre, elles pénètrent, surtout quand le naturel s’y prête, et ici le cœur les accepte d’avance, parce que l’éducation rencontre en l’instinct un complice. — Aussi bien, dès les commencements de la Révolution, lorsqu’il se retrouve en Corse, il y prend la vie pour ce qu’elle y est, pour un combat à toutes armes, et, dans ce champ clos, il pratique[1], sans scrupules, plus librement que personne. S’il salue la justice et la loi, ce n’est qu’en paroles, et encore avec ironie ; à ses yeux, la loi est une phrase du code, la justice est une phrase de livre, et la force prime le droit.

Sur ce caractère déjà si marqué tombe un second coup de balancier qui le frappe une seconde fois de la même empreinte, et l’anarchie française grave dans le jeune homme les maximes déjà tracées dans l’enfant par l’anar-

  1. Yung, I, 220 (Manifeste du 31 octobre 1789), 265 (Emprunt à main armée dans la caisse du séminaire, 23 juin 1790), 267, 269 (Arrestation du major d’artillerie M. de la Jaille, et d’autres officiers ; projet pour s’emparer de la citadelle d’Ajaccio), II, 115 (Lettre à Paoli, 17 février 1792) : « Les lois sont comme la statue de certaines divinités qu’on voile en certaines occasions » ; 125 (Élection de Bonaparte comme lieutenant-colonel d’un bataillon de volontaires, 1er  avril 1792). La veille, il a fait enlever, par une troupe armée, l’un des trois commissaires départementaux, Morati, qui logeait chez les Peraldi, ses adversaires. Morati, saisi à l’improviste, est amené de force et séquestré chez Bonaparte, qui lui dit d’un air grave : « J’ai voulu que vous fussiez libre, entièrement libre ; vous ne l’étiez pas chez Peraldi. » — Son biographe corse (Nasica, Mémoires sur la jeunesse et l’enfance de Napoléon) juge cette action très louable.


  le régime moderne, i.
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