Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/109

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de porter le poids d’une aussi large période sans tomber dans la déclamation ou dans le style symétrique. La pensée s’y meut avec une aisance extrême ; les idées accessoires s’attirent les unes les autres, et sont si bien placées qu’elles semblent n’en faire qu’une seule. Un souffle puissant pousse et soutient cette vaste machine ; suspendue deux fois, elle reprend son mouvement sans peine, par les tours les plus naturels et les plus simples : l’émotion va croissant ; elle est si vraie et si bien justifiée, qu’elle autorise deux mots qui ailleurs seraient emphatiques. Avant de l’avoir lue, on croyait que cette phrase : sur un trône ou dans les fers, ne pouvait être employée qu’en style de tragédie ; et l’on s’aperçoit en la lisant que le mouvement des idées l’amène, que l’esprit ne se guinde pas pour y atteindre, que la noblesse du ton l’y conduit. Un peu plus haut, vous n’avez pas remarqué un autre mot de théâtre : derrière les ombres du trépas ; c’est qu’il est sauvé par la simplicité des expressions qui l’entourent : quoi qu’il arrive, tout sera bien. Quelques lignes auparavant, vous retrouvez encore ce mélange d’élévation et d’aisance qui, depuis le dix-septième siècle, semblait perdu : « un Dieu qui a fait l’homme, parce qu’il n’a pas voulu retenir dans la solitude inaccessible de son être ses perfections les plus augustes, parce qu’il a voulu communiquer et répandre son intelligence,