Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PREFACE

J'étais au quartier Latin, en 1852, et je vivais avec cinq ou six jeunes gens qui aimaient à lire. Ils passaient leurs journées aux bibliothèques et aux amphithéâtres, et le soir s'amusaient à raisonner.

L'un d’eux savait les hautes mathématiques et les langues orientales, et travaillait à l’histoire des mathématiques. Un autre, botaniste, écrivait la physiologie des orchidées. Un autre, médecin, étudiait l’hérédité dans les maladies. Un autre prétendait que l’histoire des mœurs pendant les trois derniers siècles est à la bibliothèque des estampes. Plusieurs savaient le droit, d’autres la chimie. Nous connaissions plusieurs savants et quelques artistes ; et nous les traitions en supérieurs parce qu'ils nous traitaient en égaux.

Ces entretiens étaient fort vifs et sincères. Souvent on y discutait par écrit, pour mieux serrer le raisonnement et éviter les équivoques. On riait tout haut des doctrines risibles, et quand on rencontrait un argument faux, fût-il officiel, on le persécutait de réfutations et de moqueries, comme un sot et comme un ennemi.

Presque tous ces jeunes gens avaient pratiqué une science, ce qui leur avait donné le dégoût de la philo-