Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/225

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dans l’orbite flétri, l’air pensif et mélancolique, portant dans toute sa personne une expression de fatigue, de noblesse et de résignation. Il était fier, hautain même, réservé, volontiers silencieux, ni accueillant, ni familier avec les élèves. Tandis que M. Cousin, emporté par l’assaut intérieur de la verve et par la surabondance de la vie animale, causait, s’ouvrait, s’épanchait, dissertait, plaidait avec les gestes et l’appareil oratoire, dans un jardin public, dans son cabinet, n’importe où, devant n’importe qui, jusque devant ce pauvre petit personnage qu’on appelait son secrétaire, M. Jouffroy, même en chaire, paraissait froid et contenu. Il n’avait point l’air de se douter qu’on fût là. Son geste était rare, son corps immobile ; on eût dit qu’il lisait un livre intérieur, uniquement attentif à le comprendre et à se convaincre ; il réfléchissait tout haut. Point de mots brillants ni de phrases hasardées ; nul calcul pour amuser, émerveiller ou toucher ; au contraire, de longs exordes, encombrés de divisions et de subdivisions minutieuses, un examen circonstancié et incessant de questions préalables. Lorsqu’il était entré dans son sujet, nulle phrase incisive et subite ; des répétitions infinies : ses élèves, en relisant leurs notes, trouvaient qu’ils avaient écrit la même idée trois et quatre fois. Cependant, dès le premier jour, tout esprit attentif fléchissait sous son esprit. Dès