Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/248

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fondes vallées, dans les longues fondrières obscures, où le limon déposé par les eaux nourrit des futaies antiques : les superbes chênes montent vers le ciel d’un élan inflexible, et leur colonne grise descend droit jusqu’aux entrailles du sol, comme enfoncée par la main d’un géant. Nul mouvement, nul bruit ; les agitations des sommets n’arrivent point jusqu’à la terre. On marche silencieusement sur un tapis de feuilles flétries ; le sol est nu ; à peine de loin en loin on distingue quelque euphorbe maladif, quelque broussaille rampante. Les hêtres colossaux, laissent tomber leurs branches en étages ; les nappes de rayons descendent en cascades sur leurs feuilles luisantes, et l’on voit onduler sur la mousse la forme incertaine des feuillages qui se balancent lentement dans les hauteurs. Regardez de près : ces dominateurs du sol sont tous blessés à la base ; le mal a rongé leurs pieds ; l’eau s’infiltre à travers leur écorce. Les uns vont mourir ; les autres meurent. Inutiles, condamnés, inconnus dans leur gorge, abaissés au-dessous de la joyeuse végétation des collines, ils n’en forment pas moins un monde ; et quand de vos bras étendus vous en mesurez quelqu’un, fût-ce le plus malade, vous trouvez que leurs florissants rivaux sont petits.