Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/254

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naissance jusqu’à leur mort. L’homme ordinaire, apercevant un objet beau, remarquera en lui-même une sensation de plaisir, et rien de plus ; le psychologue démêlera que ce plaisir est désintéressé, qu’il est produit par la sympathie, qu’il a pour cause la notion d’une force invisible[1], qu’en cette force nous nous reconnaissons nous-mêmes ; que la matière n’est qu’un symbole ou moyen d’expression ; que nôtre plaisir est augmenté par la nouveauté de l’objet, ou par son ancienneté, ou par les idées associées. L’observation de conscience, comme l’observation sensible, peut donc, en se perfectionnant, distinguer plusieurs objets là où elle n’en remarquait qu’un seul, changer les notions vagues en notions précises, les notions incomplètes en notions complètes, les notions fausses en notions exactes. La science de l’âme, comme la science des corps, est donc capable de progrès.

Comme la science des corps, elle est capable de lois. Car, de même que dans l’enfance des sciences physiques les hommes savaient quelques règles des phénomènes physiques, de même, dans cette enfance des sciences morales, nous savons quelques règles des phénomènes moraux. Ils savaient que la chaleur fond le plomb, et qu’une pierre abandonnée à elle-même tombe vers la terre ; nous

  1. Esthétique. Théorie de M. Jouffroy.