Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

matière ; la pesanteur est une portion du tout qu’on appelle pierre ; la végétation est une portion du tout qu’on appelle plante ; l’éclat est une portion du tout qu’on appelle soleil. Donc quand vous dites : Je souffre, je jouis, je pense, je veux, je sens, la sensation, la résolution, la pensée, la jouissance, la souffrance exprimées dans le verbe, sont des portions du sujet je ou moi. Donc nos opérations et modifications sont des portions de nous-mêmes. Donc le moi n’est point une chose distincte, autre que les opérations et modifications, cachée sous elles, durable en leur absence. Vous avez été trompé par les mots. On vous a présenté une planche, et vous avez dit successivement, en parcourant successivement les divisions tracées à la craie : « Voici un carré de la planche, voici un rectangle de la planche, voici un losange de la planche. J’ai beau avancer, je trouve toujours la planche invariable, identique, unique, pendant que ses divisions varient. Donc elle en diffère ; elle est un être distinct. On pourrait ôter le carré, le losange, le rectangle et toutes les divisions sans la toucher. » Par ce raisonnement vous avez ramené la science à l’étude du sujet nu, et vous lui avez donné pour objet un être qui n’existe pas.

De là, plusieurs méprises, et entre autres l’étude des facultés. Par un raisonnement semblable,