Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/298

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un but qui est le bien de cet être. » Je n’en sais rien, ni vous non plus ; il y a pis, beaucoup de gens croient le contraire. De grands théologiens ont prétendu que le chien est fait pour nous servir, le bœuf pour nous nourrir , les fleuves pour nous abreuver, le soleil pour nous éclairer. Vous trouverez ce détail tout au long dans Fénelon. Malebranche est allé plus loin ; il a prouvé, et fort rigoureusement, que Dieu n’a point en vue le bien des créatures, mais sa gloire, qu’il fait tout pour lui et rien pour elles, et qu’il ne serait pas Dieu, s’il était humain.

« La fin d’un être est indiquée par sa nature. » En aucune façon. Tous les théologiens ont parlé des voies mystérieuses de la Providence. J’ai beau disséquer des moutons, je ne découvre pas ce que Dieu avait en vue en créant des moutons. Si, comme dit Bossuet, Dieu a fait la révolution d’Angleterre pour sauver l’âme de Madame, le plus subtil historien n’aperçoit pas dans les événements la moindre trace de ce projet ; et si le soleil est fabriqué pour éclairer les hommes, les habitants du soleil, qui sont en bon lieu pour observer sa nature, n’ont pas encore découvert sa fin.

Sortons de cette morale théologique ; j’ai honte de l’imputer à M. JoufTroy. Il l’estimait comme elle le mérite, et la laissait dormir dans les in-