Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/304

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au devoir, au bonheur, à la vie future, et leurs orages sont intérieurs. Parmi ces esprits, M. Jouffroy ne parut pas étrange. Sa sévérité ne sembla point rude ; sa gravité ne sembla point roide ; sa tristesse ne sembla point monotone. On ne le jugea ni hautain, ni insociable, ni malade ; et lorsqu’on parlait de lui en son absence, la sympathie ne manquait jamais au respect.

Il fit des études régulières et solides, et passa sa jeunesse à l’Université de Cambridge. Comme beaucoup d’Anglais, comme toutes les âmes passionnées et concentrées, il avait un sentiment profond des beautés de la nature. Il eût été malheureux, enfermé dans notre vieille École normale, entre les murs nus d’une mansarde délabrée, en face des sales ruelles du quartier latin. À Cambridge, il contemplait de longues salles vénérables, de hautes boiseries antiques, des allées de chênes séculaires, où des gazons toujours verts nourrissaient des troupes de daims et de paons familiers. Ces beaux objets communiquaient leur calme à son âme, et ses premières pensées s’éveillèrent, non dans un malaise secret, mais dans un heureux recueillement.

Il y prit ses grades, et étudia la théologie avec ardeur, mais sans angoisses. La religion protestante est libérale ; inconséquente en théorie et prudente en pratique, elle fait une part à la raison