Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/314

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l’essence des choses[1], et ne découvrir que des apparences et leurs lois. On n’avait jamais vu un pareil spectacle. Pour la première fois, la science des méthodes et des vues d’ensemble demeurait nulle, laissant les sciences particulières marcher à leur gré et toutes seules, rattachée tout entière à la morale, commentaire du Vicaire savoyard, demandant à la religion place à côté d’elle, et réduite à lui offrir respectueusement un secours suspect[2].

Si telle est sa nature, il est aisé de trouver ses causes. Puisque le ressort des fondateurs a été le besoin d’abstraction et de morale, il faut que l’inclination du public approbateur ait été le besoin d’abstraction et de morale. Les mêmes forces mènent partout l’inventeur et la foule ; et la seule différence entre l’un et l’autre, c’est que l’un proclame tout haut ce que l’autre murmure tout bas.

Chacun sait que l’esprit du dix-huitième siècle eut pour fond la défiance et pour œuvre la critique. Le grand effort y était de n’être point dupe. On avait contrôlé toutes les opinions humaines, sacrées ou profanes, utiles ou dangereuses, et rejeté tout ce qui n’était point prouvé. On ne croyait plus son cœur, mais l’analyse ; au lieu de senti-

  1. Voy. l’article sur M. de Biran, — Jouffroy, Distinction de la psychologie et de la physiologie.
  2. M. Cousin, préface Du vrai, du beau et du bien — Préface de la dernière édition du Cours de 1815-1820.