Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/320

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l’homme et le monde, et par surcroît sauver l’humanité. Par contre-coup, les théories furent des romans, des odes, des prières, ou des extases. Après s’être attendris sur le christianisme, les uns voulurent le restaurer, d’autres le réformer, d’autres le refondre, d’autres l’interpréter, d’autres l’épurer, d’autres le compléter, et ces opérations durent encore. Après s’être échauffés pour l’humanité, les uns voulurent l’affranchir, d’autres l’organiser, d’autres la rendre heureuse, d’autres la rendre honnête, et ces entreprises se faisaient encore hier. Pour comble, l’un exalta les planètes, êtres intelligents doués de la vie aromale, celui-ci l’escadron des anges swédenborgiens, celui-là la circumnavigation des âmes à travers les astres, un autre le passage des pères dans le corps des fils, un autre le culte officiel de l’humanité abstraite, et « l’évocation cérébrale des morts chéris. » Sauf les deux premiers siècles de notre ère, jamais le bourdonnement des songes métaphysiques ne fut si fort et si continu ; jamais on n’eut plus d’inclination pour croire non sa raison, mais son cœur ; jamais on n’eut tant de goût pour le style abstrait et sublime qui fait de la raison la dupe du cœur.

Or, ce style et cette inclination sont les ressorts mêmes de l’éclectisme. Les motifs qui persuadaient les maîtres persuadaient les disciples ; le même besoin régnait dans la chaire et dans l’assemblée ;