Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/340

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Sa cravate blanche irréprochable, et son habit bleu, à boutons d’or, fermé jusqu’au col, font contraste avec les paletots qui l’entourent, et l’on regarde volontiers cette tête enjouée, un peu antique, au milieu de ces jeunes visages salis et flétris par l’École pratique et par l’estaminet. De temps en temps, il prend des notes sur un cahier relié fort propre, avec un porte-crayon d’argent, toujours rempli de mine de plomb choisie, d’une petite écriture régulière et nette, qu’un copiste admirerait. Rentré chez lui, il détache la page, y met la date, la range à sa place dans un carton de faits semblables. Trois ans après, dans la discussion la plus vive, il la cite aussi exactement que s’il venait de l’écrire, ouvre le carton à l’endroit précis, et la présente à son adversaire pour ne rien dire que pièces en main.

Quoique fort bon, il n’est point philosophe humanitaire. Il trouve ennuyeux d’écrire, et ne publiera jamais rien ; il n’a pas envie de sauver le genre humain ; d’ailleurs pour cela il ne compte pas sur les livres. Il est gourmet en matière de science, et ne raisonne que pour lui seul. Il prend son plaisir où il le trouve, et prétend que les autres font comme lui. Il ne croit guère au dévouement et n’aime que médiocrement les gens à principes. Sa bienveillance, qui est extrême, vient de son tempérament, non de son raisonnement. Il