Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/369

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lant de M. Pierre ; je suis tout à fait incapable de rendre les paroles de M. Paul. Il est naturellement élevé et passionné. Au bout d’un quart d’heure, l’embarras de sa parole et de sa pensée disparaît ; il a saisi son idée ; il la possède et il est possédé par elle. Il veut démontrer, et il démontre avec une suite, une énergie, une vigueur d’expression que l’on ne rencontre guère ailleurs. À ce moment, il ne rencontre pas d’images ; il n’est occupé qu’à discipliner et à lancer sur l’adversaire la meute acharnée de ses démonstrations. Cela fait, il se livre à sa sensation ; il exprime comme s’il était seul ; il en jouit ; sa pensée atteint d’elle même au style le plus noble ; et, pour en peindre l’élan, l’ampleur et la magnificence, il faudrait la comparer à quelque eau impétueuse qui tout à la fois monte, bouillonne et resplendit.

Il accorda les deux points que son ami avait expliqués : ramener les mots aux faits qui les suscitent et multiplier les faits. Il reconnut que ces deux opérations sont le commencement de la science ; que, si on omet la première, on se lance à la recherche des êtres métaphysiques ; que si on omet la seconde, on ne peut entrer dans aucune recherche ; que, faute de la première, on s’égare ; que, faute de la seconde, on est arrêté. Mais elles ne sont que des commencements nécessaires ; elles ont une suite, et leur plus grand mérite est de la préparer.