Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/57

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çonné. À vrai dire, ce n’est pas un homme ; c’est un instrument doué de la faculté de voir, d’analyser et de raisonner. S’il a quelque passion, c’est le désir d’opérer beaucoup, avec précision, et sur des objets inconnus. Quand j’entre dans la philosophie, je suis cet homme. Vous croyez qu’il souhaite autoriser le sens commun et prouver le monde extérieur. Point du tout. Que le genre humain se trompe ou non, que la matière soit une chose réelle, ou une apparence illusoire, il n’y met point de différence. « Mais vous êtes marié, lui dit Reid. — Moi, point du tout. Bon pour l’animal extérieur que j’ai mis à la porte. — Mais, lui dit M. Royer-Collard, vous allez rendre les Français révolutionnaires, — Je n’en sais rien. Est-ce qu’il y a des Français ? » Là-dessus, il continue notant, décomposant, comparant, tirant les conséquences pendues au bout de ses syllogismes, curieux de savoir ce que du fond du puits il ramène à la lumière, mais indifférent sur la prise, uniquement attentif à ne pas casser la chaîne et à remonter le seau bien plein. Il ôtera peut-être quelque chose à la certitude, peut-être beaucoup, peut-être tout, peut-être rien. Peu lui importe ; il n’ôtera rien à la vérité.

Philosophe immoral ! dites-vous. Eh bien, je prends vos maximes. Je donne la pratique pour règle à la spéculation. J’étudie la perception extérieure pour réfuter les sceptiques et discipliner