Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me pria de le laisser seul. Après quoi il s’installa dans un grand fauteuil, s’accouda sur la table, apprêta des plumes, remplit l’encrier, fit tous ses préparatifs exactement comme un brave cheval qui va traîner une poutre de trois mille livres, et tend d’avance son harnais et ses jarrets.

Deux heures après, je le retrouvai rouge, les veines du front gonflées, entouré de pages raturées, les volumes de M. de Biran honteusement jetés par terre, et de très-mauvaise humeur.

« Ah ! c’est vous ! Le beau livre ! Et clair surtout ! Un galimatias, un fouillis d’abstractions, un fourré de chardons métaphysiques ! Vous y êtes à votre aise, n’est-ce pas ? Et l’on rit des Allemands ! Je voudrais être à Berlin et subir le récit des évolutions de la substance. Ils sont lucides, légers, agréables en comparaison. Ni faits précis, ni exemples distincts, jamais d’exordes nets, des courses à droite et à gauche à travers des citations inutiles et des questions accessoires, de grands mots qui semblent des vessies enflées d’air. Qu’est-ce que l’immédiation, les modes mixtes de l’existence sensitive, l’absolu de la substance ? Le beau style ! Cet homme met des barbarismes jusque sur ses titres. Regardez : comme celui-ci est clair ! comme on entre vite dans le dessein de l’auteur ! quelles expressions simples et engageantes ! Réponse aux arguments contre l’aperception immédiate