Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/75

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métaphysique, où les abstractions s’entre-choquent comme des cymbales pour assourdir et hébéter les cerveaux.

— Je crois, avec tout le public, qu’il a pensé.

— Croyez, et grand bien vous fasse ! Est-ce que vous ne voyez pas comment sa gloire s’est forgée ? Son mauvais style l’a érigé grand homme ; il a réussi par ses défauts. S’il n’eût point été obscur, on ne l’eût pas cru profond. C’est pour cela que M. Cousin l’a promu au grade de « premier métaphysicien du temps. » Autour du berceau du spiritualisme, il fallait des nuages. Personne n’en a plus fourni que M. de Biran. Je vois d’ici la scène ; les gens frappaient à la porte de M. Cousin : « Daignez, monsieur, nous expliquer ce qu’est l’âme ; pourquoi vous la nommez une force libre ; comment une force qui est une qualité peut être le moi qui est un être. » Et M. Cousin répondait : « Passez, messieurs, dans l’arrière-cave ; c’est le domicile de M. de Biran, un bien grand philosophe ; il vous donnera tous les éclaircissements nécessaires. Suivez ce couloir sombre ; au bout vous trouverez l’escalier. » Beaucoup de gens s’en allaient, croyant sur parole. D’autres, arrivés au bord, n’osaient descendre ; le trou leur semblait trop noir ; mieux valait accepter la doctrine que tenter l’aventure. Les obstinés descendaient, se meurtrissant les membres, donnant