Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/189

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s’il nous montre une bataille, que ce soit la Barricade de Delacroix ; s’il nous montre un Christ consolant les malades, que ce soit ce pauvre et divin Christ des misérables, celui de Rembrandt, dans son auréole de lumière jaune, au milieu des clartés qui meurent douloureusement dans l’ombre humide. Mais dans la peinture décorative l’objet est autre, et le tableau change en même temps que son objet. Voici l’arc d’une fenêtre qui se courbe gravement et simplement ; la ligne est noble, et une bordure d’ornements accompagne sa belle rondeur. Mais les deux côtés et le dessus restent vides, ils ont besoin d’être remplis, et ils ne peuvent l’être que par des figures aussi sérieuses et aussi amples que l’architecture ; des personnages abandonnés à l’emportement de la passion feraient disparate, on ne peut pas imiter ici le désordre des groupes naturels. Il faut que les personnages s’étagent selon la hauteur du panneau, les uns courbés ou enfantins au sommet de l’arc, les autres debout et adultes sur les côtés. La composition n’est pas isolée, elle est le complément de la fenêtre, elle dérive comme tout le palais d’une idée unique. Un vaste édifice royal est par nature grandiose et calme, et il impose à ses revêtements, c’est-à-dire à la peinture, son calme et sa grandeur.

Mais surtout il faut se dire et se redire qu’alors l’âme du spectateur n’était pas la même qu’aujourd’hui. Depuis trois cents ans, nous nous sommes rempli la tête de raisonnements et de distinctions morales ; nous nous sommes faits critiques, observateurs des choses intérieures. Enfermés dans nos chambres, serrés dans notre habit noir, bien protégés par les gendarmes, nous avons négligé la vie corporelle, l’exercice des membres ;