Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/190

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nous nous sommes adonnés aux mœurs de salons, nous avons cherché notre plaisir dans la conversation et la culture d’esprit ; nous avons remarqué les nuances des bonnes façons, les particularités des caractères ; nous avons lu et commenté des historiens et des romanciers par centaines ; nous nous sommes chargés de littérature. L’esprit humain s’est vidé d’images et comblé d’idées ; ce qu’il comprend et ce qui le touche à présent dans la peinture, c’est la tragédie humaine ou la vie naturelle dont il aperçoit un lambeau, telle scène de mœurs, tel aspect de la campagne, le Larmoyeur d’Ary Scheffer, une Mare au soleil, de Decamps, le Meurtre de l’évêque de Liège, de Delacroix. Nous trouvons là, comme dans un poëme, la confidence d’une âme passionnée, une sorte de jugement sur la vie ; ce que nous venons chercher dans les couleurs et les formes, ce sont des sentiments. En ce temps-là, on n’y cherchait rien de semblable ; l’ensemble des mœurs qui nous intéresse à la pensée intérieure, à la forme expressive, intéressait au personnage nu, au corps animal en mouvement. On n’a qu’à lire Cellini, les lettres de l’Arétin, les historiens du temps, pour voir combien la vie était alors corporelle et périlleuse, comment un homme se faisait justice à lui-même, comment il était assailli à la promenade, en voyage, comment il était forcé d’avoir sous la main son épée et son arquebuse, de ne sortir qu’avec un giacco et un poignard. Les grands personnages s’assassinent sans difficulté, et jusque dans leur palais ils ont les rudes manières des gens du peuple. Le pape Jules, irrité contre Michel-Ange, tombe un jour à coups de bâton sur un prélat qui voulait s’interposer. Aujourd’hui, qui est-ce qui comprend l’effet d’un muscle, sauf un