Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/197

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entre de plain-pied sitôt qu’on regarde ses esquisses. Je les ai vues à Paris, à Oxford et à Londres ; le sentiment intérieur du peintre s’y imprime au vol ; on y touche la pensée prime-sautière, intacte, telle qu’elle était dans son âme avant d’être arrangée pour le public. Cette pensée est toute païenne ; il sent le corps animal comme un ancien ; ce n’est pas seulement une anatomie qu’il a apprise, une forme morte dont il s’est pénétré, un dessous de draperie qu’il est obligé de connaître pour figurer des mouvements justes. Il aime la nudité elle-même, l’attache vigoureuse d’une cuisse, la superbe vitalité d’un dos plein de muscles, tout ce qui constitue en l’homme le coureur et l’athlète. Je ne sais rien au monde d’aussi beau que son esquisse des Noces d’Alexandre et de Roxane ; j’en ai la photographie sous les yeux, je la préfère à la fresque elle-même que je viens de voir au palais Borghèse. Les personnages sont nus, et on se croirait devant une fête grecque, tant cette nudité est naturelle, à mille lieues de toute idée d’indécence ou même de volupté, tant la joie simple, la gaieté rieuse de la jeunesse, la santé, la beauté des corps nourris dans la palestre, y éclatent comme aux plus heureux jours de la plus florissante antiquité. Un petit amour rampe dans la grande cuirasse, trop pesante pour ses membres enfantins ; deux autres emportent la lance ; d’autres ont mis sur le bouclier un de leurs camarades qui boude un peu, et le portent en dansant avec un fol entrain et des cris d’allégresse. Le héros s’avance, aussi noble que l’Apollon du Belvédère, mais plus viril, et rien ne peut exprimer l’élan, le rayonnant sourire des deux jeunes gens, ses compagnons qui lui montrent la douce Roxane assise pour le recevoir. Un souffle de bonté gra-