Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/198

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cieuse et de bonheur charmant court parmi toutes ces têtes ; les corps se meuvent et se déploient comme s’ils étaient heureux de vivre. La belle jeune fille est une fiancée des premiers jours ; elle n’a pas besoin de vêtement, les autres non plus ; c’est à tort qu’on leur en donnera dans la fresque ; ils peuvent demeurer ainsi sans impudeur ; comme les dieux et les héros des anciens sculpteurs, ils sont purs, et le libre épanouissement de la vie corporelle est aussi conforme à l’ordre chez eux que chez les fleurs. Les déesses du monde adolescent, l’immortelle Hébé, les dieux sereins assis sur les sommets lumineux que n’atteignent jamais les brutalités des saisons ni les angoisses de la condition humaine, se reconnaîtraient ici une seconde fois. Ils sont présents aussi dans le Jugement de Pâris, tel que l’a gravé Marc-Antoine. On passe des heures à contempler le torse tranquille de ce fleuve couché dans les roseaux, les sérieuses déesses debout autour du pâtre, les grandes nymphes si fièrement étendues au pied de la roche, la superbe épaule de la naïade penchée, les cavaliers héroïques qui au plus haut de l’air retiennent l’élan de leurs chevaux. Il semble que dix-huit siècles aient été tout d’un coup effacés de l’histoire, que le moyen âge n’a été qu’un mauvais rêve, et qu’après tant d’années de légendes mesquines ou douloureuses, l’homme, s’éveillant en sursaut, se retrouve au lendemain de Sophocle et de Phidias.

Je suis allé à Santa-Maria-della-Pace : vilaine façade ronde qui fait ventre ; mais on entre par un joli petit cloître du Bramante, où deux étages d’arcades élégantes se développent en promenoirs. L’église est trop parée, comme toutes les églises de Rome ; sur la gauche, un