Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/267

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Rome. Vous voyez des cours immenses, des murailles hautes comme celles d’une prison, des façades monumentales. Personne dans la cour : c’est un désert ; parfois à l’entrée une douzaine de fainéants, assis sur les pavés, font semblant d’arracher l’herbe ; on dirait que le palais est abandonné. Quelquefois il l’est tout à fait ; le maître ruiné loge au quatrième étage, et tâche de louer quelque portion du reste ; les bâtiments sont trop grands, trop disproportionnés à la vie moderne : on n’en pourrait faire que des musées ou des ministères. Vous sonnez, et vous voyez arriver lentement un suisse, quelque laquais au visage terne ; tous ces gens-là ont l’air des oiseaux mélancoliques d’un Jardin des Plantes, empanachés, dorés, chamarrés, bariolés et tristes, mais posés sur un perchoir convenable. Souvent personne ne vient, quoiqu’on ait choisi le jour et l’heure indiqués : c’est que le custode fait une commission pour la princesse ; là-dessus le visiteur jure contre le maudit pays où chacun vit des étrangers et où personne n’est exact. Vous montez une quantité d’escaliers d’une largeur et d’une hauteur étonnantes, et vous voilà dans une enfilade de pièces encore plus larges et plus hautes ; vous avancez, cela ne finit pas ; vous marchez cinq minutes avant d’arriver à la salle à manger ; on logerait là quatre régiments d’infanterie, sapeurs et musique ; l’ambassade d’Autriche est perdue dans le palais de Venise comme une nichée de rats dans un vieux moulin. — Je suppose que vous fassiez visite : la famille a beau habiter le palais, il semble qu’il soit vide. On distingue quelques rares domestiques dans l’antichambre ; au delà commence la solitude, cinq ou six salons énormes, pleins de meubles fanés, la plupart dans le style de