Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/325

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ternelles, — ces corridors noirs dont le vent a seul agité la poussière, — ces marteaux de porte dépeints qui ont fini par user le boulon de fer sur lequel ils retombent, — ces fritures, qui bouillonnent dans une graisse noire au pied d’une colonne lépreuse, — ces âniers qui arrivent sur la place Barberini avec leurs bêtes chargées de bois, — surtout ces campagnards vêtus de laine bleue et chaussés de grosses jambières de cuir, qui devant le Panthéon s’entassent silencieusement, pareils à des animaux sauvages vaguement effarouchés par la nouveauté de la ville. Ils n’ont pas l’air niais comme nos paysans ; ils ressemblent plutôt à des loups et à des blaireaux pris au piège. Beaucoup de têtes parmi eux sont régulières et fortes ; elles tranchent tout de suite parmi celles des soldats français, plus mignonnes et plus gentilles. Un de ces paysans, avec ses longs cheveux noirs et son visage noble et pâle, a l’air du Suonatore de Raphaël ; ses sandales, attachées à ses pieds par des lanières de cuir, sont les mêmes que celles des statues antiques. Il a orné d’une plume de paon son mauvais chapeau gris bossue, et se campe avec un air d’empereur contre une borne qui est un dépôt d’ordures. Dans les femmes qui lorgnent et se montrent aux fenêtres, on démêle d’abord deux types. L’un est la tête énergique au menton carré, au visage fortement appuyé sur sa base, aux yeux noirs flamboyants, au regard fixe ; le nez est saillant, le front busqué, le col court et les épaules larges. L’autre est la tête de camée, mignarde, amoureuse ; le contour des yeux finement dessiné, les traits spirituels, nettement marqués, tournent à l’expression affectée et doucereuse.