Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/371

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soir, à deux pas du Corso, on a assassiné deux personnes dans leur voiture, et on leur a volé 10 000 piastres ; la police n’a pas trouvé les coupables, et se sert de cette occasion pour mettre provisoirement quelques libéraux sous les verrous. — Tout le monde a entendu parler de ce procès récent dont le comité romain déroba les pièces. Le principal témoin à charge était une fille publique : elle a dénoncé non-seulement les gens qui venaient chez elle, mais d’autres qui ne l’avaient jamais vue. Un jeune homme qu’on me cite y est impliqué ; on l’arrête de nuit, on le juge secrètement, on le condamne à cinq ans de prison ; il a juré à son frère, dans un entretien intime, qu’il était innocent. — Les lois sont passables, mais l’arbitraire les corrompt et pénètre dans les peines comme dans les grâces ; aussi personne ne compte sur la justice, ne consent à être témoin, ne répugne aux coups de couteau, ne se croit à l’abri d’une dénonciation, n’est sûr de dormir le lendemain dans son lit et dans sa chambre.

Pour l’argent, on n’a point à craindre les confiscations ; mais elles sont remplacées par les tracasseries. Le marquis A… possède une grande terre près d’Orvieto ; ce sont ses ancêtres qui ont fondé le village. Les gens de l’endroit, avec l’autorisation du monsignor spécial, décrètent une taxe sur les biens-fonds, c’est le marquis A… qui la paye. Avec l’autorisation du même monsignor, ils lui font un procès à propos d’un terrain : s’ils le gagnent, il paye ; s’il le perd, il paye encore ; car, toute la terre lui appartenant, c’est son bien qui fournit aux dépenses de la commune. Il faut être l’ami du gouvernement pour toucher son revenu ; sinon on court risque de voir son fermier faire la sourde oreille.