Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/386

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antique, un tombeau rongé par la base, un pilier couronné de lierre, rares débris qui semblent ceux d’une cité immense, balayée tout entière par un déluge. Des paysans à l’œil luisant, au teint jaune, chevauchent à travers champs pour gagner la route. Le relais est une bâtisse lézardée, roussie, lépreuse, sorte de tombeau muet où gisent dans leurs manteaux deux hommes minés par la fièvre.

On arrive à l’Ariccia par un pont superbe, dont les hautes arcades franchissent une vallée ; il a été construit par le pape. B…, qui a parcouru les États romains, dit que les ouvrages d’art n’y manquent pas, et que les grandes routes sont bien entretenues. L’architecture et les bâtisses sont un plaisir de souverain âgé ; l’amour-propre qui pousse un pape à construire une église ou un palais, à inscrire son nom et les armes de sa famille sur toute réparation et tout embellissement, le porte à ces grands travaux qui font contraste avec la négligence générale. D’autres traces indiquent aussi la présence des goûts princiers et de la grande propriété aristocratique. Un duc a planté les larges allées d’ormes qui se déploient au delà du village. Le village lui-même appartient au prince Chigi. Sa villa au bout du pont, toute noircie, a l’air d’un château fort. Au-dessous du pont, son parc couvre la vallée et remonte jusque dans la montagne. Les vieux arbres tordus, les troncs monstrueux crevassés par l’âge, les chênes-verts dans toute la splendeur de leur jeunesse éternelle y pullulent, rafraîchis par les eaux courantes. Les têtes grises et moussues se mêlent aux têtes vertes ; les buissons se révèlent déjà d’un vert tendre, qui manque par places et semble un voile délicat accroché et retenu par les doigts épineux des branches.