Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/387

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Toutes ces teintes, sous les alternatives du soleil et de l’ombre, se nuancent avec une variété et une harmonie charmantes. La terre du printemps s’est amollie et enfante ; on sent vaguement la fermentation de la multitude vivante qui se remue dans les profondeurs ; les jets frêles affleurent à travers les écorces ; de petites pointes vertes luisent dans l’air traversé et peuplé par les rayons agiles ; les fleurs rient déjà en couvées éclatantes, capricieusement, au bord des sources. Que les pierres et les monuments auprès des créatures naturelles sont peu de chose !

Nous dînons à Genzano, et nous sommes obligés d’aller nous-mêmes acheter de la viande ; l’aubergiste refuse de se compromettre, mais nous indique une boutique de saucissons. Cette auberge est tout à fait sauvage : c’est une sorte d’écurie soutenue par une haute arcade. Les mulets, les ânes entrent et sortent, longeant les tables, et leurs pieds sonnent sur le pavé. Les toiles d’araignée pendent aux poutres noircies, et la lumière du dehors entre par une grande ondée où nagent en tourbillons les poussières de l’ombre. Point de cheminée ; l’hôtesse fait la cuisine sur un âtre dont la fumée se répand à travers la salle ; du reste la porte de devant et celle de derrière sont ouvertes et font un courant d’air. Je suppose que don Quichotte, il y a trois cents ans, trouvait dans les plaines brûlées de la Manche des auberges pareilles. Pour chaises, des bancs de bois ; pour mets, des œufs et encore des œufs. — Les petits mendiants nous poursuivent jusqu’à table avec une importunité incroyable. On ne peut pas décrire leurs guenilles et leur saleté. L’un d’eux porte un pantalon tellement déchiré qu’on voit la moitié des deux cuisses ; les