Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/390

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tranquille, endormi d’une vie mystérieuse et profonde sous les frissons silencieux qui le traversent, et réfléchissant sa bordure dentelée, la riche couronne de chênes qui se nourrissent éternellement de sa fraîcheur. — On relève les yeux, et sur la gauche on voit Castel-Gandolfo avec ses édifices blancs, son dôme rond découpé dans l’air, ses pointes hérissées sur le rebord allongé du mont, comme des coquillages blancs incrustés sur la croupe d’un crocodile, puis enfin tout au fond, par-dessus les crénelures de la montagne, l’infinie campagne romaine et ses millions de taches et de raies noyées sous une couche de brouillard et de lumière.

Un couvent de chartreux est posé sur le bord du lac. Toujours les moines ont choisi leurs sites avec un grand goût et une singulière noblesse d’imagination ; peut-être la vie religieuse, privée des commodités bourgeoises, affranchit-elle l’âme des petitesses bourgeoises ; du moins elle y réussissait autrefois. Malheureusement l’horrible et le grossier viennent s’établir tout de suite auprès du noble. À l’entrée est une grille, et derrière la grille quantité de crânes et d’os de chartreux ornés des inscriptions appropriées ; te figures-tu l’effet sur un paysan, homme d’imagination, qui passe ? La tête et le cœur reçoivent une secousse et le retentissement en dure plusieurs heures. Tout est calculé ici pour ces sortes d’impressions, par exemple l’office à Saint-Pierre. Le grand autel est si loin que l’assistance ne peut saisir les paroles ; je ne dis pas les comprendre : c’est du latin. Peu importe : le majestueux bourdonnement qui arrive aux oreilles, l’éblouissement produit par les chapes d’or, la majesté