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des masses architecturales suffisent pour troubler vaguement l’âme et maintenir l’homme à genoux.



26 mars.


Ce soir, grande conversation politique ; c’est toujours là qu’on arrive à la fin du dessert, après le café. Je la transcris en rentrant chez moi.

L’interlocuteur principal est un beau jeune homme grave, dont l’italien est si distinct et si harmonieux qu’on dirait une musique. Il est très-vif contre le pouvoir temporel. Je lui présente les objections cléricales :

« Vous jugez le pape, vous perdez la docilité d’esprit et de cœur, vous tournez au protestantisme. » — « En aucune façon : nous sommes et nous restons catholiques ; nous acceptons et nous maintenons une autorité supérieure chargée de régler la foi. Nous ne lui ôtons même pas le pouvoir temporel : on n’ôte aux gens que ce qu’ils ont, et en fait le pape ne l’a plus. Depuis trente ans, s’il règne, c’est par les baïonnettes autrichiennes ou françaises ; il ne subira jamais une pression étrangère plus forte que celle qu’il subit aujourd’hui. Nous ne voulons pas le déposséder, mais régulariser sa dépossession accomplie. Il est par terre, asseyons-le. »

Je reprends et j’insiste : « Le principe du catholicisme n’est pas seulement que la foi est une, mais encore que l’Église est une. Or, si le pape devient citoyen d’un État particulier, italien, français, autrichien, espagnol, très-probablement, au bout d’un siècle ou deux, il tombera sous la domination du gouvernement dont il sera le sujet ou l’hôte, comme il arriva jadis au pape